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Article | Gaëtan Le Coarer – Bande dessinée, réalité augmentée/virtuelle/mixte… – Turbulences Video #114

publish the 6 January 2022 at 14 h 36 min

Gaëtan Le Coarer – Bande dessinée, réalité augmentée/virtuelle/mixte et nouveaux espaces de narration

Propos recueillis par Jacques Urbanska
Turbulences Video Magazine #114 – 2022-01

Gaëtan Le Coarer, qui vient de terminer sa résidence MAP (Mobility in Art Process) Pépinières européennes 2021 à Transcultures (Centre des cultures numériques et sonores) en Belgique, est un artiste-chercheur français. Il est actuellement doctorant à l’Université Savoie Mont-Blanc, en Sciences de l’Information et de la Communication & Sciences de l’Art, avec comme sujet de thèse : “Bande dessinée et réalité mixte, vers de nouveaux espaces de narration”  où il pose la question de savoir comment, à l’ère de l’interaction et de l’immersion, pouvons-nous repenser, relire, interagir avec la narration en BD dans les espaces de réalités mixtes ? Il conçoit sa recherche doctorante comme un sujet se pensant et se construisant pour, en tant que et au travers d’une création,  An Domhan, une expérience en Réalité Mixte (virtuelle et augmentée), adaptée de la légende irlandaise “La Mort tragique des enfants de Tuireann”. Ce créateur arborescent veut comprendre comment se structure la narration en réalité mixte, c’est-à-dire dans son cas, dans la “mixité” des médias utilisés, des espaces engagés, de la place et des incidences du corps vis-à-vis de la narration.

Comment et pourquoi venir interroger précisément le médium de la bande dessinée ? 

Gaëtan Le Coarer :  Si la bande dessinée, la narration et les espaces sont les principaux sujet de ma recherche, mais c’est le “noir” qui est le maitre d’œuvre de cette recherche. Il est au centre de mon étude. Ce noir, c’est l’ellipse par excellence. C’est ce fondu au noir dans un film, l’ombre brutal d’un film noir, c’est du hors champs, c’est du potentiel spatial et donc narratif qui est abordé en bande dessinée de manière visuelle et qui est à réinterpréter de manière émotionnelle, expérimentale, abstraite…On pense évidemment aux productions de Sergio Toppi, Alberto Breccia, ou Danijel Zezelj, mais aussi aux réalisations de Ibn al Rabin ou même Lewis Tromdheim et Manu Larcenet.  C’est également le noir des dessins de Claude Parent et Paul Virilio qui évoquent l’architecture dans “l’angle” du corps et une nouvelle expérience du lieu. C’est le noir des trous noirs, objets célestes passionnant et dont le mystère est devenu récemment image, document. C’est le noir, de la matière, l’énergie, dans l’interférence et le corps. Le noir comme notion scientifique étend un champ du possible qui nous aide à comprendre sa poésie, sa nature. Cela densifie, rallonge un schéma en construction. A la manière de ceux de l’artiste Dan Graham en perpétuelle conception.

Comment se matérialise concrètement cette recherche dans votre cas ?

G.LC :  En plus du travail sur la VR/RV, je réalise dans le cadre de la thèse, et en amont du projet, des dessins à l’encre de chine sur papier en composant sur neuf feuilles de 50x50cm de côtés disposé en carré au sol. Le corps en tant que dessinateur se trouve par-dessus ses feuilles.  A l’aide de couteaux de peinture, imbibé d’encre de Chine d’un noir luisant, j’attaque la surface du papier. Par l’affûtage des gestes, des dessins, je souhaite aller plus loin que la surface du papier : plonger dans les profondeurs d’un noir, qui, lancé par ses qualités premières matérielles (proche des effets d’un Outre-noir), guide, outre l’encre, vers ses spatialités propres (et inquiétante pour  Henri Michaux). Ce sont ces espaces, marqués par la profondeur du noir, qui me ramènent ou que je tente de ramener à la surface, que ce soit du point de vue du dessinateur ou du point de vue du lecteur. J’essaie de faire corps dans ce mécanisme propre du noir, invoquant l’état d’une narration singulière. L’influence de Marc-Antoine Mathieu est liée à cette approche narrative de la bande dessinée. Dans le premier tome de la saga des Julius Corentin Acquefaques, “L’Origine” (à la page 37), le lecteur est surpris par la mise en page et le récit déployé par l’auteur-scénographe. En effet, un trou se trouve au beau milieu de la page. Marc Antoine Mathieu est une référence majeure pour moi en BD. Il côtoie Matt Mullican, Will Eisner, Winsor McCay, ou même Marcel Duchamp…

En 2014, pour l’ouvrage “10 ans de Numériques à Mons”, j’avais eu le plaisir de rencontrer Eric Joris (The Crew), artiste pionnier en Belgique dans les expériences VR. Nous avons parlé longuement de l’effet déceptif de certaines expériences en réalité virtuelle. Surtout qu’à l’époque, le matériel était très contraignant, la mise en place parfois longue. Et au final, on avait parfois un sentiment de : “ tout ça pour ça”. Malgré l’énorme évolution du hardware ces dernières années, comment expliquer que ce sentiment se retrouve encore souvent dans la masse de projets qui sont aujourd’hui proposés ?

G.LC : L’une des premières attentions que l’on porte sur la réalité virtuelle dans une scénarisation de dispositif et dans la réalisation de ce dernier est justement l’expérimentation ! La scénarisation liée à ce que l’on montre dans le casque et la manière dont c’est perçu, vécu, interprété, utilisé, et parfois cassé par le corps de l’utilisateur n’est pas un détail, mais une véritable partie prenante du processus de création. Cela fait quelques années que les casques VR (de toutes sortes, de toutes marques) sont disponibles sur le marché, bien qu’ils ne soient pas accessibles à toutes les bourses. Les jeux vidéos, les expériences jouant sur un waow effect, et même une sorte de reboot des salles d’arcade pour la VR (que l’on résume par LBE, Local Based Entertainment) sont des approches, des développements qui sont prolifiques pour la Réalité Virtuelle. On s’aperçoit surtout dans tout ce corpus de lieux et d’œuvres que la réalité virtuelle est prise dans une forme simple de cross média. On propose un même “jeu” ou type de jeu sur un support différent. Comme le souligne l’artiste-chercheuse française Carole Brandon dans son appel à communication sur L’ Art et les cartographies sensibles : “nous nous heurtons à plusieurs phénomènes : le premier est d’abord une non-appropriation de ces technologies XR (extended realities XR ou extented reality désigne l’ensemble des environnements combinant le virtuel, le numérique et le matériel généré par des technologies) par les usagers, dont le manque d’intérêt provient du fait de cantonner les fonctions et buts de ces casques immersifs aux jeux vidéos, auréolés en plus, d’une croyance liée à la complexité de la technique. Le deuxième est ce stockage massif de données (comme les débuts de la photographie ou du CD-Rom) dont nous produisons plus facilement des répertoires quantitatifs voire des éléments de surveillance, sans parvenir à scénariser et rendre accessible ces matériaux qualitativement”. Et puis, comme l’écrit très justement Jean Baudrillard :  “la simulation part à l’inverse de l’utopie du principe d’équivalence, part de la négation radicale du signe comme valeur, part du signe comme réversion et mise à mort de toute référence. “

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