L’exposition Connectic’arts, manifestation fédératrice initiée par Carlo Luyckx, échevin de la Culture de la Commune de Saint-Gilles et Philippe Franck, directeur de Transcultures s’est inscrit dans la quatrième édition du festival des arts et cultures Transnumériques. Il s’agissait d’explorer, dans plusieurs lieux associés de la commune de Saint-Gilles, les cultures numériques liées, dans leur diversité de forme (installations, performances, arts en réseau, ateliers,…) et de contenu, aux nouvelles technologies. Au-delà, Connectic’arts entendait faciliter et développer le rapport des artistes et des citoyens aux réseaux (Internet, réseaux sociaux…) dans leur quotidien et leur imaginaire. Pour la première fois à Saint-Gilles, a été proposé un grand événement qui a associé les cultures numériques à une démarche participative pour proposer une manifestation à la fois rassembleuse, conviviale, prospective et festivalière et également structurante.

Interview réalisée par l’équipe de Transcultures

Vous êtes à la fois artiste, performer et “content curator” très impliqué dans le développement réseau et vous allez donner un atelier sur la stratégie de diffusion de l’info (culturelle) sur Internet (content management). Quelles sont, selon votre expérience, les grands enjeux de ces utilisations “stratégiques” ou “artistiques” du web 2.0 ?

Jacques Urbanska : Ce que l’on entend communément par web 2.0 est le fait que l’utilisateur soit également un acteur, qu’il puisse interagir pour créer ce qu’on appelle un Web dynamique. C’est une expression simple, fourre-tout et grand public qui permettrait d’englober tout le Web tel qu’il se présente aujourd’hui. Or, on parle depuis quelques années déjà d’un Web 3.0, sémantique, “au carré”. Et le Web 4.0, mis en avant par Nova Spivack vient intégrer la caractéristique du “cloud computing”, le “tout online”. Pour ma part, j’aime particulièrement l’approche de Joël de Rosnay (AgoraVox), qui parle d’un Web Symbiotique (quitte à confondre le Web et Internet) : chaque objet ou surface étant ou pouvant être reliée au réseau, Internet deviendra notre environnement. C’est ce que nous voyons déjà aujourd’hui avec les smartphones, les tablettes, tous les objets communicants, la téléphonie, la radio ou la télévision… Pour en revenir au enjeux artistiques : les artistes se sont toujours emparés des nouvelles technologies pour voir “à quoi elles pourraient servir autrement”. J’ai lu un article dernièrement qui posait la question de savoir pourquoi la surface tactile plate s’est-elle imposé comme interface. Cela nous paraît une évidence, parce qu’elle est présente partout aujourd’hui. Mais n’y avait-il pas d’autres interfaces possibles, d’autres formes plus efficaces, plus organiques… Les créateurs viennent interroger ces “évidences”, ces certitudes. Ils posent question et mettent en perspective. Un autre point, très intéressant, a été soulevé par la récente exposition “Collect the WWWorld The Artist as Archivist in the Internet Age” qui s’est déroulée à la “House of Electronic Arts Basel”. Avec le Web 2.0, la masse d’information disponible s’est démultipliée, c’est d’ailleurs cette démultiplication exponentielle qui a fait naître les “content manager”, ces humanoïdes agrégateurs de contenus qui fouillent le Web pour en extraire leur vision. Car dans l’idée d’un artiste archiviste, il n’y pas que le contenu qui compte, mais il y a aussi et surtout sa présentation, la visualisation de ces données, leurs connexions, leurs différentes lectures possibles… Il me semble également tout aussi intéressant d’envisager l’idée que ça ne soit pas Internet qui pénètre notre monde matériel, mais que ça soit l’inverse. Pénétrer le réseau, l’investir grâce à des interfaces plus organiques, le matérialiser, inventer des accès… L’utilisation du Web par les artistes à été de l’entrevoir comme une matière que l’on pouvait façonner, même si elle n’était que “virtuelle”. A l’heure où cette matière prend possession de la matière physique (et/ou inversement), il exploreront cette “symbiose”, la mettront à mal pour en faire ressortir les aspérités ou la renforceront pour voir ce qu’il en sort.

Quelle est la nature et le contenu du projet Web Wailing Wall, dont vous présenter une maquette (iframe) en collaboration avec Vincent Paesmans à la Maison des Cultures pour l’exposition Connectic’arts ?

Jacques Urbanska : Fin 2010, j’étais en pleine recherche avec mon projet arts-numeriques.info. J’avais besoin de faire des “tests techniques” pour juger de l’efficacité de certains de mes outils de veille (recherche Internet sur certains thèmes). J’ai donc pris un sujet qui me tenait à coeur en créant mon premier twitter bot @sarkozy_info. Il s’aggissait simplement de voir si je pouvais centraliser toutes l’information Web publiée sur Nicolas Sarkozy et la republier automatiquement via ce compte twitter. Quelques mois plus tard, l’accident de fukushima m’a très fortement touché, mais il me semblait que twitter regorgeait d’informations et que ça n’était pas la peine d’en rajouter. Hors, quelques semaines après la catastrophe, l’info (et par conséquent le hastag système de taggage de l’information sur twitter) se firent beaucoup plus rare, surtout en français. Je me suis alors impliqué à développé une veille sur le sujet que l’on peut retrouver sur twitter (@fukushima_info et @fukushima_fr) et facebook. Comme pour @sarkozy_info, j’ai essayé que l’outil en lui-même ne prennent pas parti, qu’il diffuse un maximum de points de vues et de sources. Dans un même temps, suite à la révolution Tunisienne, des prémices de ce que l’on a appelé la “spanishrevolution” du 15M naissaient en espagne. Il y avait aussi des tentatives de mobilisation en France sous l’appellation “Operation Revolution France”. Il m’a sembler important de diffuser cette info et j’ai fait une tentative de veille twitter qui s’est soldée par un échec. Le travail pour trouver de bonnes sources et pour automatiser la publication était extrêmement difficile : l’information était noyée dans le bruit du Web. Le mouvement espagnol à quant à lui surpris par son ampleur et sa présence, tant physique que sur le réseau jusqu’à d’ailleurs devenir un de ses slogan “nobody expects the spanishrevolution”. Si le mouvement s’est très vite répandu partout en Europe et ailleurs, c’est surtout porté par la communauté hispanique et la grande majorité de l’information était en espagnole. Je me suis dit qu’il faudrait peut-être regrouper l’information en français et en anglais et que tant qu’à faire, je pourrais aussi parler dans autres mouvements sociaux qui éclataient dans le monde. J’ai donc ouvert une veille sur toutes les “révolutions” et créé @revolution_info… et me suis mis en quête de sources à travers le monde entier. Quand, fin juin 2011, des contacts aux Etats-Unis m’ont demandé de diffuser un événement “Occupy Wall Street”, il m’a tout de suite paru évident que cela allait donner lieu à quelque chose qui allait faire date. Pourtant, jusqu’à la première semaine du mois de septembre, nous étions très peu à diffuser cette information en Europe. Même au Etats Unis, cela n’avait rien d’un buzz. Il a fallu attendre les 10 derniers jours avant le 17 septembre, pour que le mouvement sur la toile prenne une ampleur significative. Après le jour de la manifestation, certains personnes m’ont demandé si je ne pouvais pas ouvrir une veille spécifique sur le mouvement “Occupy” aux USA. Une diffusion de l’information des Etats Unis vers l’Europe et vice et vers ça. C’est ainsi qu’est né @Occupy_USA. Aujourd’hui, en plus de celles que je viens de citer, j’ai une trentaine de veilles actives sur différentes sujets (la pollution des océans, le front national, la neutralité du Web, le DSKgates…) et sur différents réseaux sociaux. C’est d’abord de ce travail que j’aimerais rendre compte avec <iframe>. Rencontrer les gens et leurs parler de mon expérience. Après, le projet final, le Web Wailing Wall, ça sera quelque chose de très sobre, très simple, un mur Web saturé d’informations en temps réel, qui viennent s’ajouter les unes autres, les recouvrir, s’amonceler… une projection sur un mur physique, où l’on pourra venir se recueillir, lire, écouter des voix, regarder des images (animées ou non). Et comme au mur des lamentations, j’aimerais que le public puisse y déposer quelques mots s’il a envie (via sms).

Quels sont les (nouveaux) types d’engagements artistiques sur le réseau face à des questions politiques et de la société de la (dés)information ?

Jacques Urbanska : “Artivisme, art militant et activisme artistique depuis les années 1960”, de Samira Ouardi et Stéphanie Lemoine veut retracer l’histoire de tous types d’engagements artistiques qui se revendique clairement d’une mouvance activiste (politique). Cette notion d’activisme privilégie clairement l’action directe dans l’espace public (espace de la vie quotidienne, espace public concret, urbain, médiatique…).  Internet est autant une sphère de cet espace qu’un outil médiatique pouvant servir à le critiquer, il n’est donc pas étonnant que beaucoup d’artistes y soient engagé. Au fur et à mesure que la symbiose réel/virtuel s’opère et que la notion de réseau s’étend, l’utilisation de ce dernier devient quasi inévitable. Une simple vidéo postée sur youtube peut générer des million de vue et ainsi toucher un public plus large que celui des médias traditionnels, un sitting peut être traduit par le blocage d’un site Web (via un déni de service), un logiciel ou une plateforme peuvent devenir des outils de diffusion et de partagent, mais aussi d’action de résistance face à des multinationales et des gouvernements qui souhaiteraient réduire l’Internet à un grand supermarché, aseptisé et sécurisé. L’hacktivisme (autre néologisme contraction de hacker/activisme) est un terrain investi aujourd’hui par nombre d’artistes, même s’ils ne se revendiquent pas forcément du Netart. Je ne pense pas que le réseau crée de “nouveau” type d’engagements, mais il confère sans aucun doute un terrain de plus en plus large, de nouveau espaces à investir ainsi que des outils à inventer ou à utiliser. Les travaux de Eva and Franco Mattes, des Yes Men, Usman Haque, Alessanndro Luidovicio, Cory Arcangel, le collectif RyBNsont autant d’exemples différents. Pour terminer, je renverrai le lecteur à l’article “Nous avons besoin d’une critique sérieuse de l’activisme sur le Net”. Cette réponse-réquisitoire de Cory Doctorow au livre “The Net Delusion: The Dark Side of Internet Freedom”, montre toute la complexité de points de vues qui, pour moi, se complètent plus qu’ils ne s’opposent.

Vous proposez aussi à la Maison des Cultures, une oeuvre en construction, Anathèse dans “Transdémo”, pouvez-vous nous en parler ? Qu’attendez-vous de cette confrontation publique ?

Jacques Urbanska : Dans le dispositif final, je serai nu face à une personne (ou un tout petit groupe) qui pourra me toucher et faire réagir mon corps via une interface m’envoie de l’électricité dans les muscles. Elle pourra me voir réagir physiquement et une série de capteurs (dont un casque neuronal) viendront également traduire l’effet de ce contact sur mon corps et mon esprit. Ces information seront diffusées en temps réel sur le réseau. L’artiste Stelarc avait proposé, il y a des années, une performance de ce type, mais il avait décidé que l’interface de contact serait Internet (cette performance étant imbriquée dans une autre). Il n’y avait donc pas de proximité physique entre lui et le public.  Après un long silence “artistique”, j’avais besoin d’un temps, d’un lieu et d’un public pour tester un dispositif minimal pour ce projet, une étape de travail qui me permettrait de développer certains aspect techniques tout en ayant la possibilité de jeter les première base de mon rapport au public. Comme pour <iframe>, c’est un risque, car toute présentation (même d’un atelier) fait spectacle. C’est un exercice difficile dont on sait par avance qu’il va générer de la frustration, mais, comme pour les sondes de la Chartreuse (ou les différents Média Labs) ces espaces de travail/présentations sont des espaces privilégiés pour tous créateurs.